Revue de presse

Le Monde, Dimanche 19 – Lundi 20 août 2018, p. 24

Dictée d’honneur

HISTOIRES DE LANGUE

DICTÉE D’HONNEUR

La langue française, surtout dans ce qu’elle a de plus littéraire, ne se porte pas très bien. Et, de ce fait, les initiati­ ves en sa faveur se multiplient.

Aujourd’hui, concours de dictée à la Maison d’éducation de la Légion d’honneur. Dix heures du matin, temps radieux, ciel bleu roi sur la ba­ silique Saint­Denis et les cités HLM voisines. J’ai été sollicitée, en tant que responsable du service Correc­ tion du Monde, pour lire la dictée (un court extrait du Rouge et le Noir) et parler un peu du métier de correc­ teur et de la nécessité, dans le monde professionnel, de bien connaître sa langue, son orthogra­ phe, sa grammaire, sa littérature.

Le lycée a été installé par Napoléon dans les magnifiques bâtiments de l’ancien couvent de l’abbaye atte­ nante à la basilique. Il est réservé aux filles, petites­filles et arrière­petites­ filles de décorés de la Légion d’hon­ neur. Le collège est aux Loges, dans la forêt de Saint­Germain (Yvelines).

Mais voici Julien Sorel en personne qui s’est glissé hors de la dictée : l’œil velouté et un peu inquiet, il vient m’accueillir et me conduire dans l’immense salle où je vais officier. Jeunes filles en uniforme, tête pen­ chée, à l’écoute, questions. Ici, un point d’interrogation ou d’exclama­ tion ? Vous pourriez répéter la phrase qui commence par : « Depuis le sémi­ naire il mettait les hommes au pis… » ? « Horace », c’est en italique, dans :

« C’était, dans le fait, deux glaces de huit pieds de haut chacune, et dans lesquelles il regardait quelquefois son interlocuteur en parlant d’Horace, qui lui imposaient encore » ?

L’ÉCRITURE INCLUSIVE S’INVITE

Promenade entre les tables, je joue à l’institutrice, comme dans mon en­ fance, mais, aujourd’hui, ce sont les cinq meilleures élèves en orthogra­ phe de chaque classe, de la seconde à la khâgne, qui tendent l’oreille.

Peu de vrais pièges, ce n’est pas la dictée de Mérimée, mais un test qui sanctionne une expérience de lec­ ture, un sens littéraire. La dictée de la finale interétablissements, organisée deux semaines plus tard par l’asso­ ciation de Matthieu Fernandez, le Ju­ lien Sorel de tout à l’heure, profes­ seur de lettres classiques à la Légion d’honneur, sera puisée dans Les Nourritures terrestres, de Gide… « Ne te méprends pas, Nathanaël, au titre brutal qu’il m’a plu de donner à ce li­ vre ; j’eusse pu l’appeler Ménalque, mais Ménalque n’a jamais, non plus que toi­même, existé. »

Au cours de l’échange informel qui suit, une jeune élève me demande ce que je pense de l’écriture inclusive et déplore quant à elle ces évolutions qui « abîment » la langue française. Mais la plupart semblent réservées et s’exprimeront peu.

Déjeuner fin avec l’équipe de let­ tres et la surintendante (c’est ainsi que l’on désigne ici la proviseure), Marie­France Lorente, à ce poste de­ puis 2012.

Puis, dans son bureau tapissé des portraits de ses prédécesseures, cel­ le­ci évoque l’intérêt manifesté par les deux présidents de la République qu’elle a eu l’occasion d’accueillir. « Si j’avais su, je serais venu plus tôt », a dit le premier. Le second ne s’est pas fait attendre. 

Marion Hérold